Liberté d’expression du salarié : Les limites

Femme exerçant sa liberté d'expression par mégaphone

Tout citoyen a droit à la liberté d’expression. Il peut exprimer librement ses opinions, sans limitation de temps, de support, etc.

Et le salarié ne déroge pas à la règle.

En sus d’un droit d’expression essentiel à la bonne exécution contractuelle, il bénéficie d’une liberté d’expression qui ne connaît de limite disciplinaire que lorsqu’elle se confond avec l’injure, la diffamation, le mensonge et l’excès.

La liberté d’expression doit être bien distinguée du droit d’expression dans l’entreprise.

1. Le droit d’expression

Ce dernier est la possibilité laissée aux salariés de s’exprimer librement. Et même de façon critique à propos de leur travail (conditions d’exercice, organisation, améliorations à envisager, etc.).

Ce droit s’exerce pendant les heures de travail, et de façon collective. Il est encadré et formalisé. Des réunions d’expression sont organisées. L’employeur a l’obligation de négocier pour instaurer ce droit.

Le droit d’expression vient compléter :

  • l’expression individuelle que porte un salarié directement à son employeur,
  • et l’expression collective via les représentants du personnel (IRP, RSS, DS).

Il ne s’agit de rien d’autre que d’un pendant incontournable de la bonne exécution du contrat de travail, de façon saine et loyale de par chacune des parties (employeur – salarié).

Ce droit d’expression est si encadré qu’il ne donne lieu qu’à peu de débordements. Mais il ne doit pas se confondre avec la liberté d’expression, même si les sujets de discussion sont parfois identiques (conditions de travail par exemple).

 

2. La liberté d’expression

La liberté d’expression est le droit pour chaque salarié de dire, écrire, diffuser librement ses idées.

Contrairement au droit d’expression, elle s’exerce sans limitation de temps ou de lieu. Elle peut être individuelle ou collective. Et a priori, elle ne doit rien avoir à faire avec l’employeur. Ce dernier n’a pas de droit de regard sur elle.

Mais pourtant, elle se retrouve bien souvent au centre de contentieux prud’homaux, dont le cœur du débat est la caractérisation de l’abus.

 

  • Abus de la liberté d’expression

Bien qu’il n’y ait aucune définition de cet abus de la liberté d’expression, il est possible de le caractériser lorsque sont qualifiés un ou plusieurs des éléments suivants :

  • Propos injurieux, (expression outrageante ou méprisante, qui n’impute aucun fait précis à la personne visée)
  • Propos mensongers, diffamatoires (allégation d’un fait non avéré qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne rendue identifiable)
  • Propos excessifs

La Cour de cassation a par exemple jugé d’injurieux et de diffamatoire les propos d’un salarié selon lesquels ses supérieurs prenaient des « décisions incohérentes et contradictoires qui compromettent la pérennité de l’entreprise », entraînant des « désordre interne, détournement, abus d’autorité, conséquences financières et sociales désastreuses » (Cass. soc., 27 mars 2013, no 11-19734).

Dans le même sens, a été considéré comme justifié le licenciement d’un médecin salarié qui avait établi un rapport dans lequel, sans évoquer de faits précis ni fournir de motivation sérieuse, il critiquait violemment l’incohérence et l’inefficacité des méthodes de travail, usant de termes malveillants et diffamatoires, l’incohérence et l’inefficacité. Ledit rapport avait été diffusé parmi le personnel de l’établissement ainsi qu’à un conseiller général de la région (Cass. soc., 1er juill. 1981, no 79-41.922).

Bon à savoir : l’abus de la liberté d’expression peut être caractérisé même lorsque les propos ne sont pas rendus publics, mais simplement couchés dans une lettre adressée directement au supérieur hiérarchique visé (Cass. soc., 28 avr. 1994, no 92-43917).

Le contexte devra alors être apprécié au cas par cas pour déterminer si l’action disciplinaire est opportune.

La publicité sera un élément caractéristique supplémentaire de l’abus.

La Cour de cassation l’a caractérisé pour des propos mensongers et injurieux, précédés d’aucune revendication dans l’entreprise, qui avaient été portés devant un journaliste et repris dans un journal local (Cass. soc. 26 avril 2006, n°04-44538).

Dans le même sens, l’abus a été qualifié pour une salariée qui avait affiché, sur une banderole suspendue à son balcon, des propos injurieux mettant en cause publiquement et nommément l’entreprise qui l’avait licenciée (Cass. soc. 22 juin 2011, n°10-10856).

Et les réseaux sociaux sont souvent le support de cet abus, lorsque les propos litigieux sont portés sur des pages publiques de Facebook par exemple, dont les publications sont visibles par l’ensemble des internautes et non seulement les « amis » autorisés par l’auteur. Tel n’est pas le cas des propos privés d’un salarié envoyés dans un « MP » (message privé) ou sur un « mur » ouvert aux « amis d’amis » (CA Besançon 15 novembre 2011, n° 10/02642 ; CA Reims 9 juin 2010, n° 09/3205 ; CPH Boulogne- Billancourt 19 novembre 2010, n° 10/00853).

 

  • Absence d’abus et libre expression du salarié

A l’inverse, l’abus ne sera pas caractérisé lorsque le salarié s’est contenté de critiquer la politique interne de l’entreprise et de porter ses propos devant le personnel du groupe concerné, en l’absence d’excès, d’injures, de mensonges.

Tel est le cas de critiques sur la politique de l’entreprise, simplement portées sur une note destinée aux membres du comité central d’entreprise (Cass. soc. 1er juin 2004, n°02-40762).

Tel est aussi le cas de contestation non excessive des propos du DG sur une question technique lors d’une réunion de travail (Cass. soc. 7 juin 2006, n°04-45781).

Tel est enfin le cas de propos tenus dans une lettre ouverte qui cite nommément le chef d’entreprise et dénonce les dysfonctionnements et les insuffisances de la société (Cass. soc. 22 juin 2004, n°02-42446).

L’absence de volonté de dénigrement du salarié auteur des propos litigieux permettra également d’écarter la notion d’abus (Cass. soc., 22 sept. 2011, no 10-30.074).

 

Fondements : Articles L.2211-1, L.2281-1 et L.2281-2 du Code du travail, jurisprudence citée

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